Secret des affaires : quelle protection pour les entreprises ?

Certains secrets de fabrication ou de commercialisation deviennent sources de convoitise pour de potentiels concurrents. Plusieurs entreprises ont notamment fait la désagréable expérience de se voir copier certains de leurs produits innovants, par une fuite d’informations incontrôlable. Si en droit français il existe plusieurs dispositions législatives qui permettent de sanctionner des pratiques de concurrence déloyale, le secret des affaires au sens large ne faisait pas l’objet d’une protection législative avant 2018.

En effet, ce fut suite à l’adoption d’une directive européenne en 2016 que le droit français fut contraint d’aborder cette thématique. Le secret des affaires est donc protégé en droit français depuis la loi du 30 juillet 2018, ce qui est relativement récent. Si les dispositions relatives à la concurrence déloyale sont généralement connues des entreprises en France, celles du secret des affaires restent encore méconnues pour de nombreux acteurs du marché économique. Pour lever le voile sur cette protection destinée aux entreprises, voici une présentation concise de la protection du secret des affaires désormais intégrée dans le droit français.

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Le secret des affaires : qu’est-ce que c’est ?

Certaines informations ne peuvent pas être protégées par un brevet ou des droits d’auteur. Par exemple, certains produits innovants ne répondent pas aux 4 conditions demandées pour déposer un brevet, à savoir être :

  • une solution technique ;
  • novateur ;
  • le produit d’une invention ;
  • possiblement industrialisable.

Dans ce cas, avant 2018 les entreprises n’avaient pas de réels moyens de protection pour ces données jugées confidentielles. Grâce à l’initiative européenne de proposer un fondement juridique commun pour la protection du secret des affaires, les entreprises françaises peuvent désormais attenter une action en justice sur ce fondement contre toute personne exploitant leurs données confidentielles.

Cette nouvelle protection accordée aux informations gardées secrètes par les entreprises a été intégrée dans le Code du commerce. Ce régime de protection prévoit également des mesures de prévention, pour limiter les dommages en cas de fuite d’une information confidentielle.

Autre point important : le secret des affaires fait également l’objet d’une protection au niveau européen, ce qui facilite les procédures judiciaires en cas de vol et d’exploitation de données confidentielles par une entreprise étrangère établie sur le territoire européen.

Quelles informations peuvent être protégées par le secret des affaires ?

Même si l’objectif de cette loi est d’élargir les informations pouvant être protégées dans le cadre des affaires, toutes les informations ne sont pas couvertes par le secret des affaires. En effet, pour être protégée par le secret des affaires, une information doit :

  1. ne pas être connue ou facilement accessible ;
  2. avoir une valeur commerciale du fait de sa non-divulgation ;
  3. faire l’objet de mesures de protection suffisantes par son détenteur afin de garantir son caractère secret.

Ces 3 conditions cumulatives permettent tout de même d’avoir une interprétation large des informations pouvant être intégrées dans le secret des affaires. Il peut s’agir d’une technologie non brevetable, d’un savoir-faire, d’un processus de fabrication, d’une étude de marché

Dans quels cas la divulgation d’une information secrète peut-elle être sanctionnée ?

L’objectif de reconnaître juridiquement le secret des affaires est bien évidemment d’empêcher la diffusion d’informations jugées confidentielles par les entreprises. Qui dit interdiction, dit sanction en cas de non-respect.

Concernant le secret des affaires, l’interdiction s’entend au sens large. En effet, le Code du commerce prévoit que le secret des affaires interdit quiconque de détenir et de diffuser une information confidentielle, sans le consentement de celui qui détient légitimement cette information.

Cela suppose donc que le fautif :

  • a pris connaissance d’une information dont il n’avait pas accès ;
  • ou que ce dernier a commis des actes manifestement déloyaux pour obtenir cette information.

Autre point important : le seul fait de détenir des informations confidentielles d’une entreprise sans son autorisation est punissable au titre du secret des affaires. Il n’y a donc pas besoin de prouver que la personne fautive ait fait usage de ces informations dérobées.

Il n’est pas fait mention ici de la volonté de diffuser une information confidentielle. En d’autres termes, si une personne divulgue un secret de fabrication sans savoir que cette information est protégée par le secret des affaires, cette dernière pourra être sanctionnée au même titre qu’une personne ayant délibérément exploité cette information en connaissance de cause.

Sont donc visés ici tous les actes d’espionnage industriel ou de concurrence déloyale, mais également les actes dépourvus d’une intention de nuire.

De plus, une personne qui recueille une information confidentielle par un tiers fautif peut également être condamnée, si cette personne ne pouvait nier qu’il s’agissait d’une information protégée par le secret des affaires.

Sur ce point, de vifs débats ont éclaté sur la restriction de la liberté de la presse. Une tempérance semble donc de mise concernant la divulgation jugée nécessaire d’informations tenues secrètes par un journaliste, un syndicat ou bien encore un lanceur d’alerte au sein d’une entreprise. 

Existe-t-il des exceptions ?

Le Code du commerce prévoit 2 situations pour lesquelles la détention d’informations confidentielles non autorisée ne peut être punissable. En effet, la protection offerte par le secret des affaires ne peut être applicable lorsqu’une personne qui détient une information confidentielle a pris connaissance de cette information suite à :

  • une découverte ou une création personnelle ;
  • une expérience ou de l’observation d’un produit mis à disposition au public.

Par conséquent, le secret des affaires a ses limites et ne peut apporter une protection aussi efficace qu’un brevet par exemple.

Quelles sont les mesures préventives ?

Ce nouveau régime de protection du secret des affaires applicable depuis 2018 prévoit également plusieurs mesures préventives. Il peut s’agir notamment :

  • d’interdire de diffuser l’information protégée ;
  • d’interdire les produits ou les services basés sur cette information secrète frauduleusement dérobée ;
  • de demander la restitution du support contenant l’information protégée à son propriétaire ou de détruire toute copie contenant cette information.

D’une manière générale, un juge saisi en référé pourra ordonner toute mesure qu’il juge nécessaire pour empêcher ou faire cesser la divulgation d’une information protégée par le secret des affaires.

À noter que l’exécution de toute mesure préventive ordonnée par un juge est à la charge de l’auteur présumé de l’atteinte au secret des affaires. S’il s’agit d’arrêter la production d’un lot de produits ou de procéder à leur destruction par exemple, l’addition peut s’avérer salée.

Selon les mesures préventives envisagées, l’auteur de l’atteinte au secret des affaires peut demander à la place le paiement d’une indemnité à l’entreprise victime. En effet, le paiement d’une indemnité peut dans certains cas représenter une mesure financièrement moins défavorable pour l’accusé.

Cependant, 3 conditions cumulatives devront être remplies pour pouvoir remplacer une mesure préventive par le paiement d’une indemnité :

  1. l’accusé ne savait pas et ne pouvait savoir que cette information confidentielle qu’il détient et qu’il exploite a été dérobée frauduleusement par une personne tierce à l’entreprise victime ;
  2. les mesures préventives envisagées causeraient un important dommage pour l’accusé ;
  3. le versement d’une indemnité au regard du préjudice subi par l’entreprise victime apparaît comme suffisant.

Pour éviter tout abus concernant le montant de l’indemnité, le Code du commerce prévoit que cette indemnité ne peut être supérieure à la valeur commerciale de l’information confidentielle, si cette dernière avait été commercialisée.

De plus, le paiement de cette indemnité en remplacement de l’exécution d’une mesure préventive n’exclut pas le paiement de dommages et intérêts à l’entreprise victime.

Comment agir en cas de violation du secret des affaires ?

En tant qu’entreprise, si vous constatez qu’un de vos concurrents ou une personne tierce a dérobé frauduleusement une ou plusieurs informations que vous teniez secrètes, vous devez immédiatement saisir sur requête ou en référé le tribunal de commerce compétent.

Le juge pourra ainsi dans un premier temps ordonner des mesures préventives, afin d’éviter ou de faire cesser la divulgation de votre information confidentielle.

Par la suite, après instruction le juge pourra ordonner votre indemnisation par l’auteur des faits. Pour fixer le montant de ces dommages et intérêts, le juge prendra en compte :

  • le préjudice financier subi par votre entreprise ;
  • le préjudice moral subi par votre entreprise ;
  • les possibles gains réalisés par l’accusé suite à la détention et à l’exploitation de votre information protégée par le secret des affaires.

Afin de renforcer l’aspect dissuasif d’une telle condamnation, il sera également possible pour le juge de demander la publication de cette condamnation dans un journal d’annonces local par exemple. L’auteur des faits devra ainsi faire face publiquement aux faits qui lui sont reprochés.

Bien évidemment, dans ce cas il ne sera pas fait mention de la nature et du contenu de l’information confidentielle qui restera protégée par le secret des affaires. Les frais de publication seront également à la charge de l’accusé.

Des informations secrètes peuvent-elles être divulguées pendant un procès ?

Si le droit français a enfin intégré des dispositions claires pour reconnaître le secret des affaires, il s’est rapidement posé la question de savoir si des informations confidentielles devaient être dévoilées dans le cadre d’un procès.

Même avant l’adoption de cette loi de 2018, plusieurs entreprises avaient manifesté leur volonté de ne pas communiquer certaines informations jugées confidentielles pendant un procès. Cette question délicate soulève le difficile équilibre entre la protection du secret des affaires et le souci de rendre la justice.

Afin de concilier ces 2 impératifs, le régime applicable pour le secret des affaires permet au juge :

  • de prendre connaissance seul de l’information confidentielle, sans la communiquer à la partie adverse qui n’en a pas connaissance ;
  • de communiquer seulement une partie des éléments ou un résumé succinct de l’information confidentielle à la partie adverse, afin de préserver l’aspect confidentiel sur les éléments les plus sensibles ;
  • d’ordonner la tenue des débats et de la délibération en Chambre du conseil, c’est-à-dire à huis clos ;
  • de rendre une décision et de procéder à sa publication en veillant à respecter le secret des affaires.

De plus, toute personne qui pendant un procès a pris connaissance d’éléments couverts par le secret des affaires est tenue à une obligation de confidentialité, tant que ces éléments resteront secrets.

Le régime dorénavant applicable au secret des affaires apporte donc une protection généralisée relativement efficace pour toutes les données et informations confidentielles détenues par les entreprises. Comme pour toutes pratiques commerciales déloyales, il est conseillé d’agir rapidement en cas d’informations secrètes dérobées frauduleusement, en demandant l’application de mesures préventives.

Les entreprises victimes d’un vol d’informations non protégées par le droit d’auteur ou par un brevet ont désormais un fondement juridique sur lequel s’appuyer pour limiter leur préjudice et obtenir une juste réparation.